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Les aiguilleurs du ciel plus connus sous le nom de contrôleurs aériens ont la lourde tâche de guider les pilotes. Quelles que soient les difficultés de la vie, ces contrôleurs doivent faire le dos rond pour porter à bon aéroport les pilotes qui, le plus souvent, ne maîtrisent pas leurs environnements.

 

Les agents de ce corps d’élite passent par tous les états. Entre stress, angoisse, déception, ces «soldats de l’air», qui n’ont pas le droit à l’erreur, reviennent sur les pires et heureux moments de leur carrière.

SEYDINA ALIOUNE DIENE, CONTROLEUR DE LA CIRCULATION AERIENNE : «Le crash de l’avion militaire MI-17 à hauteur de Missirah restera le pire moment de ma carrière»

«J’ai 41 ans et je suis contrôleur de la circulation aérienne, inspecteur au centre régional de la navigation aérienne (CRNA) à la tour de contrôle de Dias.  Par ailleurs, je suis le président de l’association professionnelle des contrôleurs de la circulation aérienne du Sénégal. Je capitalise 18 ans d’expérience dans le métier de la navigation aérienne.

Malgré tout ce temps passé entre les avions, je reste toujours marqué par le crash de l’avion militaire, le MI-17, à hauteur de Betenty. Cinq ans après ce terrible naufrage qui a causé 8 morts et 13 blessés dans la zone des mangroves de Missirah, j’y repense toujours.

C’est resté gravé dans ma mémoire. Cette tragédie est le pire moment que j’ai eu à vivre dans la navigation aérienne. Ce jour-là, j’avais pris service au niveau du département dénommé « CC rapproche ».

C’est notre département qui devait guider l’avion en partance pour Ziguinchor. Mais, à son retour, une autre équipe devait se charger de son contrôle. A travers les radars, je voyais et entendais le pilote s’adresser à la tour de contrôle de l’aéroport de Diass.

Le pilote déclarait sur la fréquence de Diass qu’il avait des difficultés pour contrôler l’appareil. C’est à cet instant que j’ai vu sur un de nos appareils, un indicateur intitulé Pro, que le crash de l’appareil était inévitable. J’étais sous le choc. J’étais complètement tétanisé.

Je savais que c’était la fin et que l’appareil allait droit vers le crash. Je ne pouvais rien faire, je savais que c’était trop tard. C’était horrible. Quand j’ai eu l’écho du nombre de morts et de blessés, la nuit fut longue, douloureuse et horrible pour moi.

Ce jour-là, j’avais été obligé de travailler jusqu’à 22 heures 30, alors qu’en temps normal, je rentrais vers 21 heures. J’espère ne plus vivre ce genre d’événements. Le métier d’aiguilleur est un travail très sensible.

Elle demande beaucoup de concentration car, au moindre manque d’inattention, un crash d’avion peut se produire. J’ai la lourde responsabilité de mener à bon aéroport ces avions qui survolent l’espace aérien du Sénégal afin d’éviter les chevauchements horaires.»

MARIEME SODA DIA, 35 ANS, CONTROLEUSE AERIENNE : «Le choc de ma carrière…»
Elle est toujours traumatisée par le crash de l’avion militaire le MI-17 ! Rien que le fait d’y penser l’installe dans une angoisse et une consternation sans nom.

Cette tragédie l’a marquée au fer rouge, surtout parce qu’elle était en état de grossesse et faisait partie de l’équipe de contrôle. Chez Marième Soda, ce drame a été une expérience vraiment pétrifiante. «C’était dramatique. A un moment, j’ai senti des trémolos dans la voix du pilote.

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Sa voix demandant de l’aide, parce qu’il avait perdu le contrôle de l’appareil et que le moteur l’avait lâché en altitude, continuera de résonner encore longtemps dans ma tête», hoquète-t-elle. L’aiguilleur poursuit : « Je sentais dans sa voix des trémolos. Et quelque temps après, j’ai vu sur mon écran la représentation de l’appareil qui chutait avant de disparaître.

J’ai eu le choc de ma vie», confie tristement Marième Soda Dia. La contrôleuse en état de grossesse est restée des mois sous le choc. La voix du pilote hantait son sommeil et lui a coûté pendant longtemps des nuits blanches. Néanmoins, stoïque, le lendemain, elle a repris service et devait réguler la circulation aérienne entre Dakar-Ziguinchor.

Les images du crash tournent en boucle dans sa tête, mais n’empêche, consciente des vies qui reposent sur ses épaules, Marième garde le cap et assure avec brio. Depuis, les images sont indélébiles, mais sa volonté de mener à bien sa mission a toujours eu le dessus sur ses frayeurs.

Sûre de ses aptitudes, Marème Soda explique néanmoins que les femmes ne sont pas bien représentées au sein de ce corps d’élite. «Il y a un ratio de 20% de femmes dans le secteur. Dans ce domaine, il ne s’agit pas de s’imposer, mais de trouver sa place en tant que femme.

Nous devons montrer que les femmes sont aussi capables que les hommes. Toutefois, il faut reconnaître que c’est très difficile avec le quantum horaire très chargé», serine-t-elle. D’après elle, les femmes contrôleuses de circulation aérienne doivent faire une croix sur leur vie sociale.

«Pour les cérémonies et autres rencontres, il faut mettre une croix dessus. Nous n’avons pas de vie sociale. Cette situation est très difficile parce qu’au Sénégal, le compresseur social est une réalité. Donc, pour réussir, il faut un mari et une famille qui vous comprennent», assure la contrôleuse aérienne.

MADIOR SALL, 40 ANS, CONTROLEUR AERIEN : «Faute de suivi et de soutien psychologique adéquat, il nous est difficile d’évacuer le stress quotidien»

Vous exercez un métier où vous n’avez pas le droit à l’erreur. Comment gérez-vous le stress ? 
Il n’y a pas de recette miracle pour gérer le stress. Un contrôleur aérien se doit d’être fort et de faire le dos rond face aux difficultés de la vie, qu’elles soient conjugales ou professionnelles, parce que sur lui repose l’espoir du pilote qui est en altitude.

Le contrôleur aérien n’a pas le droit de paniquer parce qu’il est le dernier rempart du pilote qui se trouve en altitude. Il doit s’oublier et ranger aux oubliettes ses problèmes. Même s’il arrive que les caprices des femmes vous prennent la tête, le contrôleur doit se vider la tête. Car au poste de contrôle, il doit assurer et rassurer l’aéronef.

Nous accumulons beaucoup de stress qu’il nous est parfois difficile d’évacuer, faute de suivi et de soutien psychologique adéquat. Mais nous arrivons à gérer le stress grâce à notre foi en Dieu,

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Quelles difficultés rencontrez-vous dans votre travail ? 

C’est lorsque le pilote ne nous appelle pas pour nous informer de sa position. Il arrive des fois que le pilote qui est en altitude, oublie de nous informer de sa position. Ce genre de situations augmente la pression chez les contrôleurs.

Mais aussi lorsque le pilote est en espace océanique. Il arrive que le contrôleur essaie d’entrer en contact avec le pilote et que la qualité sonore ne soit pas bonne. Ces situations arrivent, mais sont gérables. Parce que chaque aéronef doit normalement appeler les contrôleurs pour indiquer sa position et son niveau de vol afin de faciliter la tâche aux contrôleurs.

Quel est le pire moment que vous avez vécu dans la navigation aérienne ? 

Le pire moment que j’ai vécu comme contrôleur remonte à 2015 au lendemain du crash d’un avion, il y a eu 7 morts. L’aéronef faisait l’axe Ouagadougou-Dakar. Nous étions tous stressés, la déception était palpable. L’avion s’est effondré sous nos yeux et nous avons assisté à ce spectacle, impuissants. Ce genre de situation vous marque à vie.

SEYDINA MOUHAMED WADE, 32 ANS, AIGUILLEUR : «Nous n’avons pas le droit à l’erreur»

Entrée dans ce corps d’élite : « D’abord, pour être aiguilleur il faut avoir un Bac scientifique et faire deux ans à la Faculté des Sciences. J’ai réussi le concours en 2014. J’ai fait deux ans de formation au Niger. Après, j’ai fait deux ans de stage à Dakar.

J’ai commencé à exercer le métier en 2018.  Donc je capitalise 6 années d’expérience. Mais également, il faut un bon niveau en Anglais. Il faut aussi noter que nous faisons des tests médicaux avec le médecin aéronautique.»

La satisfaction : « Les pilotes ne maîtrisent pas souvent leur environnement. De ce fait, nous sommes leurs derniers remparts. Par conséquent, nous sommes condamnés à ne commettre aucune erreur. Car les erreurs dans le milieu de la navigation se paient cash.

Raison pour laquelle les contrôleurs ne laissent ni négligent aucun détail. Car une petite marge d’erreur peut avoir une conséquence dramatique. La plus grande satisfaction pour un contrôleur, c’est de voir des passagers atterrir sains et saufs. Sans encombre. Lors de l’accueil des Lions de Football à l’aéroport de Yoff, après le sacre au Cameroun, ma satisfaction était immense parce que je faisais partie de l’équipe de contrôleurs qui a guidé le pilote.

Certes le métier est très sensible parce que les erreurs sont impardonnables, mais il existe des moments de joie qu’un contrôleur ne peut jamais oublier. Lors de l’accueil des lions du football, nous avons guidé le pilote jusqu’à son atterrissage. Nous étions heureux d’avoir conduit nos lions. Nous aimons le métier pour ce genre d’évènements. »

Le stress : « Le stress est naturel et permanent chez nous. Ce qu’il faut éviter, c’est se retrouver dans une position où le stress prend le dessus et nous empêche de faire correctement le job.»

 

 

 

Source : L’Obs